FICTION ?
Tranche de vie professionnelle. Anne, 43 ans, DRH dans une PME en zone semi-rurale, Grand Ouest.
« Recherche collaborateur désespérément ! » martèle Anne entre deux cafés. DRH à mi-parcours de carrière, la petite quarantaine donc, elle scrute les CV, les réseaux, les boites mails, les réponses aux quelques questionnaires remplis lors de la dernière participation de sa boite à un Salon de l’Orientation. Comment trouver celui, celle ou l’autre personne qui répondra à ses attentes et aux exigences du manager, alors que RSE est pris pour un nom de médicament par plus de la moitié des salariés et que les équipes, le CoDir et le Board sont 100% masculins, grisonnants et pas les rois du tact lorsqu’il s’agit d’accueillir une cliente ou une stagiaire ? Ce n’est pas gagné. Il y a eu des efforts de fait pour la cantine mais les petits bureaux individuels restent austères, en enfilade de chaque côté de ce long couloir à la moquette murale couleur rouille et qui date des années 80.
Anne se dit que dans trois ans, elle va passer le cap des 45 ans et que la pente vers la retraite sera bien longue… jusque 64 ans au bas mot car avec un double Master, elle n’a pas commencé à travailler à 20 ans, à part les jobs d’été pour payer les études. Le téléphone sonne, Léo, son fils de19 ans a besoin d’un coup de main pour son dossier d’APL, s’orienter sur Parcours Sup et surtout, il a besoin d’un garant, voire d’un peu de sous en plus pour faire son semestre de césure. L’agenda est rempli d’écritures vertes, sur toutes les pages. Ce sont tous les RV à prendre pour ses parents Annie et Dominique. Son père a une maladie chronique et sa mère s’épuise à s’en occuper, mais pas question d’Ehpad, ils sont encore jeunes et autonomes, par contre les années passant il va falloir anticiper, s’occuper d’adapter leur logement.. cela augure de longues soirées à faire les plans, superviser les travaux, faire des demandes d’aides, calculer les coûts et gérer le budget…. « Avec ma grand-mère et sa soeur qui ont Alzheimer, mon grand-père Parkinson, c’est un mi-temps que je passe pour gérer les intervenants, le passage des soignants, des Aides à domicile, le portage du repas… ça n’arrête pas. » Anne est comme 30% des actifs en France, une active aidante. Pas simple de rester focus sur son travail quand Mamie a encore fait une chute, qu’elle est restée 5 heures coincée entre son lit et le mur, la pauvre, sous le choc elle n’a pas pensé appuyer sur son médaillon. Elle est à l’hôpital et il faut lui trouver un endroit pour sa rééducation, et visiter de préférence. Anne habite à 300 km de chez ses parents et grands-parents, pas question d’y aller tous les week-ends, avec le prix du carburant qui flambe… mais elle culpabilise et fait des crises d’angoisse en pensant aux risques du quotidien, à la perte d’audition, d’équilibre, d’acuité auditive déjà bien amorcée chez les anciens de la famille, oncles, tantes, cousins, parents…
Allez Anne respire et se reconcentre sur son écran et les profils sélectionnés. A diplôme égal pourquoi prendre un jeune ? et pourquoi pas tenter un senior ? Au moins il comprendrait direct le fonctionnement de l’entreprise et le rôle d’une hiérarchie bien organisée. Et pourquoi pas une personne handicapée tant qu’on y est ? Histoire de chahuter un peu les habitudes. Un peu de diversité dans ce coin de campagne ça ferait du bien, ça bousculerait un peu, surtout si la personne est compétente, et il faudra qu’elle le soit. A ce propos Anne doit se former sur l’approche par compétences pour gérer la GEPP, parce que pour le moment, les entretiens c’est quand on peut et qu’on a le temps, pas souvent. Et comme tout le monde se connait, ça ne vaut pas le coup de perdre du temps, on voit bien, au feeling, qui fait quoi et sur qui il vaut mieux investir.
La vie d’Anne a bien changé, tous ces outils, ces applications, c’est épuisant. Il faut un brevet de pilote pour passer de l’une à l’autre, entrer 50 mots de passe dans une journée, se connecter sur 20 comptes différents… parfois elle balancerait bien tout ça par la fenêtre pour reprendre un cahier et un crayon. Et une coupure d’électricité sauvage, une ! là c’est mort pour chercher le candidat idéal.
Heureusement demain Anne est en télétravail, et va pouvoir souffler un peu, en profiter pour faire tourner ses machines avant le week-end, et passer la journée en legging. Avec seulement deux visio dans l’après-midi, elle pourra être super productive le matin, et boucler un dossier de fond, d’autant que son bureau donne sur le jardin. C’est apaisant. Avec un peu de chance, elle repèrera le candidat idéal… on peut rêver !
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